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Christian Rémésy a été directeur de recherche en Nutrition Humaine à l’Inra de Clermont-Ferrand. Il a particulièrement travaillé sur les produits végétaux, fruits et légumes, céréales et pain. Il est l’auteur de nombreuses publications scientifiques et ouvrages de vulgarisation.
 

Le 3 février 2023, l’association Bulles de Vie et la librairie Mot à Mot, organisaient un café littéraire autour du livre de Christian Rémésy « La nutriécologie, seul futur alimentaire possible ».

Retour sur les principaux points abordés.

La nutriécologie, qu’est-ce que c’est ?

La nutriécologie est un concept nouveau, proposé par C. Remesy, qui conjugue écologie et nutrition, pour définir des systèmes alimentaires bons pour la santé humaine et pour la planète.

Il repose sur plusieurs constats  :

Au cours de la seconde moitié du XXème siècle, la nutrition a été pensée à travers le prisme du « nutritionnisme » qui réduit l’aliment à une somme de nutriments : « les protéines bonnes pour les muscles, le calcium pour les os, les omégas 3 pour le cœur… ». Mais le bénéfice « santé » d’un aliment est bien plus que cela : il est riche des interactions entre les nutriments qui vont agir en synergie, avec un impact sur la qualité de notre digestion, sur la satiété…  L’ultra-transformation[1] des aliments, en « cassant » ces interactions limite fortement leur potentiel « santé ». Il est temps de revenir à une plus grande naturalité de notre alimentation, en privilégiant des aliments ayant gardé leur complexité naturelle.

La nutrition est restée très éloignée de l’écologie. Pourtant, comment imaginer que les modes de production et de transformation n’influent pas sur la qualité nutritionnelle de notre alimentation ? Et par ailleurs, quel est l’impact écologique d’un aliment, prenant en compte non seulement la manière dont il a été produit, mais aussi la manière dont il a été transformé, emballé et transporté ?

Enfin, force est de constater que les systèmes agro-industriels et les industries agro-alimentaires, qui se sont développés au cours de la deuxième moitié du XXème siècle ont montré leurs limites, leur impact négatif sur la santé de l’homme et celle de la planète.

Une prise en compte intégrée de l’ensemble de la chaine alimentaire, de la production agricole à l’aliment, est aujourd’hui indispensable : elle implique tous les acteurs, l’agriculteur, le transformateur, le distributeur et chacun d’entre-nous par la manière dont nous nous alimentons : « manger nous engage » !  

Si l’agroécologie a pour ambition de concevoir des systèmes agricoles qui respectent les ressources naturelles et la biodiversité, améliorent la qualité des sols et présentent une plus grande résilience face aux aléas climatiques, la nutriécologie va plus loin ; elle englobe :

  • Des objectifs de santé humaine,
  • Le pilotage écologique et nutritionnel de l’agriculture,
  • La biodiversité alimentaire à conserver,
  • La place écologique accordée aux élevages (hors élevage industriel ; basés sur le pâturage et les systèmes de polyculture – élevage).
  • Les codes de bonnes pratiques des transformations alimentaires.
  • Les nouveaux liens sociaux à tisser entre les agriculteurs, les transformateurs et les citoyens.

Quelques conseils pour une alimentation nutriécologique : miser sur la naturalité et la biodiversité végétale tout aussi utile au plan nutritionnel qu’écologique

  • Augmenter la consommation de fruits et légumes (4 ou 5 fruits et légumes par jour ; au moins 300 g de fruits par jour et autant de légumes) ; adopter les produits de saison.
  • Réduire fortement la consommation de sucres rapides (sucre, sucreries, sodas…) et redonner une place centrale aux féculents : produits céréaliers (pain, pâtes, riz, boulgour, semoule…) peu raffinés, légumes secs (pois, pois-chiche, lentille, haricots blancs ou rouges, soja…), pomme de terre ou autres tubercules et racines.
  • Réduire la consommation de produits animaux. A titre indicatif, au maximum : 500 g de viande par semaine ; produits laitiers : 4 à 7 fois par semaine ; œufs : 2 à 4 fois par semaine ; charcuterie : 4 à 5 fois par mois. Limiter au maximum
  • Limiter au maximum les aliments ultra-transformés qui apportent « calories vides », additifs indésirables…
  • Consommer des huiles variées non raffinées et des fruits à coques.
  • Consommer peu de sel et d’aliments salés ; augmenter la consommation d’aliments d’origine végétale riches en potassium (fruits secs, légumes secs, légumes, algues…).
  • Privilégier les aliments issus de l’agriculture biologique, les transformations locales et les circuits courts. Limiter au maximum les produits issus d’élevage industriel.

Le microbiote : un facteur clé de succès de la nutriécologie

Un des progrès récent et majeur en nutrition humaine a été de comprendre le rôle essentiel du microbiote intestinal (anciennement appelée flore intestinale) dans le maintien de notre santé.

Alors qu’une première digestion enzymatique intervient dans l’estomac, une seconde digestion microbiologique a lieu dans l’intestin : elle permet de « finir » la récupération des glucides, protides et lipides, mais aussi et surtout des micro-nutriments : vitamines, minéraux, oligoéléments.

Le microbiote s’installe dès la naissance par le contact avec la mère et l’environnement, et par l’allaitement maternel. Puis il devra être favorisé en privilégiant très tôt une alimentation variée en produits végétaux et riches en fibres. Une alimentation pauvre en fibres végétales mais riche en sucres rapides et en graisses conduit en effet à des modifications du microbiote, avec un appauvrissement de certaines espèces de microorganismes jouant un rôle clé pour l’efficacité de notre système immunitaire et la prévention de pathologies inflammatoires.

 

Pour aller vers une chaine alimentaire nutriécologique : agriculteurs, transformateurs, distributeurs, pouvoirs publics, citoyens, tous concernés !

 Pour l’agriculteur : il s’agit d’aller vers une offre plus diversifiée, un mode de production qui allie les avancées de l’agriculture biologique et de l’agroécologie, plus résilient face au changement climatique, préservant l’eau, les sols, la biodiversité, les terres agricoles. L’agriculteur ne doit pas être un simple pourvoyeur de matière première pour l’industrie agro-alimentaire ; il doit participer pleinement à la santé de l’homme et de la planète.  

Pour le transformateur : il s’agit d’aller vers un abandon du raffinage, de l’ultra-transformation pour préserver la qualité et la naturalité des aliments ; développer la transformation locale.

Pour le distributeur : il s’agit de faire un tri salutaire dans la gamme des boissons et des aliments proposés ; isoler les produits ultra-transformés ; favoriser les circuits courts qui limitent les transports et contribuent au lien social.

Pour les politiques publiques : il s’agit d’actionner les leviers des commandes publiques avec la restauration collective ; favoriser les recherches autour de la nutriécologie ; stimuler la mise en place de plans alimentaires territoriaux, favoriser l’éducation à l’alimentation, à la cuisine, dès le plus jeune âge.

Pour les citoyens : il s’agit de faire évoluer ses pratiques d’achat*, ses modes alimentaires et ses pratiques culinaires, favoriser la naturalité et la diversité ; « réhabiliter l’acte culinaire comme art de vivre et pour bien se porter ».

[1] Les produits ultra-transformés contiennent généralement plus de 5 ingrédients (par ex. : huiles hydrogénées, gluten, protéines hydrolysées,  isolats de protéines de soja, maltodextrine, sucre inverti, lécithine de soja, amidon de riz, sirop de glucose…) ; ce sont des produits artificiels, fabriqués par l’homme à partir d’une recombinaison d’ingrédients : ils ne sont pas fournis tels quels par la nature et leur « matrice » n’est plus naturelle ; ce sont des produits tellement transformés qu’on ne discerne plus l’aliment d’origine.

Anthony Fardet. Halte aux aliments ultra-transformés ! Mangeons vrai. Ed. Thierry Souccar

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